Rapport de la mission sur la mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée avec Monsieur le Député Frédéric Reiss
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Notre commission des Affaires culturelles et de l’Éducation nous a désignés, le 30 octobre dernier, co-rapporteurs d’une mission flash portant sur la mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée.
Mise en œuvre à la rentrée 2019 pour les classes de Première, cette réforme a opéré une refonte sans précédent des enseignements et des modalités d’évaluation dans le cadre du baccalauréat. Aux anciennes séries a été substitué un tronc commun complété par des enseignements de spécialité au choix de l’élève, au nombre de 3 en Première et de 2 en Terminale, parmi 11 possibilités.
Or des inquiétudes sont rapidement apparues concernant l’offre des spécialités au sein des établissements, et leur répartition sur le territoire. L’objectif de cette réforme était en effet de diversifier les profils des élèves en leur permettant de se spécialiser de manière plus progressive et personnelle. Des engagements avaient été pris par le ministère afin qu’un nombre minimal de spécialités soit proposé dans chaque établissement, et qu’elles soient toutes accessibles au sein de « bassins de vie ».
Notre mission flash visait à vérifier l’effectivité de ces engagements, afin d’alerter sur un éventuel déficit d’offre qui restreindrait les choix des élèves, et de formuler des préconisations à cet égard.
Notre premier constat est que la réforme, en général, a été bien reçue. Les équipes pédagogiques, qui ont fourni un travail conséquent, se sont pleinement emparées des possibilités qu’elle ouvrait, lesquelles correspondaient à une attente forte de voir disparaître le fonctionnement en « silos » et la forte hiérarchisation qui caractérisaient les anciennes séries. Beaucoup d’élèves ont eux aussi accueilli cette réforme avec enthousiasme en raison de la liberté qu’elle leur procure, même si de fortes inquiétudes, partagées avec leurs parents, existent sur les attendus qui seront exprimés par les établissements d’enseignement supérieur.
Concernant les spécialités choisies, la DEPP a publié les résultats consolidés des choix opérés par les élèves en novembre dernier. Les disciplines scientifiques classiques forment le trio de tête, avec, au premier rang, les Mathématiques, choisies par 69 % des élèves, puis la Physique-chimie par 47 % d’entre eux, et les Sciences de la vie et de la Terre (SVT) avec 43 %. Suivent la spécialité « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », choisie par 35 % des effectifs, et la spécialité « Langues, littérature et cultures étrangères et régionales », par 28 %. À l’autre bout du spectre, on trouve la spécialité « Arts », suivie par 6 % d’entre eux, les « Sciences de l’ingénieur », avec 6 % également, et la spécialité « Littérature, langues et culture de l’Antiquité », avec 0,4 % des élèves.
Les spécialités ont donc été choisies de manière très inégale, et les choix ont reproduit pour partie la domination des disciplines scientifiques qui s’était installée.
Mais on constate en même temps une réelle diversification des profils des élèves. Si la triplette la plus choisie, et de loin, est celle correspondant à l’ancienne série scientifique, elle n’est suivie que par 28 % des effectifs, alors que la série S en regroupait 52 % ! L’offre des établissements s’est également nettement diversifiée, puisqu’avant la réforme, 84 % des établissements proposaient les trois séries du baccalauréat général, tandis que 93 % proposent aujourd’hui les 7 spécialités les plus courantes.
Sur la répartition sexuée des choix de spécialités, on observe, sans étonnement, que les garçons ont davantage choisi des spécialités scientifiques, et les filles des spécialités littéraires ou de sciences sociales. Ainsi, la spécialité « Mathématiques » a été choisie par 78 % des garçons mais seulement 61 % des filles, et la spécialité « Numérique et sciences informatiques » par 15 % des garçons et 3 % des filles, tandis que les langues étrangères et régionales ont attiré 35 % des filles et 20 % des garçons, et la spécialité « Humanités » 25 % des filles et 9 % des garçons. De plus, les filles ont effectué des choix plus variés que les garçons.
L’origine sociale des élèves a, elle aussi, fortement pesé sur les choix de spécialités. Les Mathématiques ont été plébiscitées à 76 % par les élèves d’origine sociale très favorisée, contre seulement 62 % des élèves d’origine défavorisée. Inversement, les Langues étrangères et régionales ont été choisies par 25 % des élèves d’origine très favorisée contre 32 % des élèves d’origine défavorisée. De manière générale, on constate que les élèves grandissant dans des conditions moins favorisées se sont montrés plus libres dans leurs choix de spécialités, n’hésitant pas à choisir des enseignements plus originaux ou à opter pour des combinaisons atypiques, tandis que les élèves plus favorisés ont davantage préféré reproduire l’ancienne série scientifique.
Concernant les combinaisons de trois matières choisies par élèves, les choix se sont concentrés autour d’un nombre relativement réduit de « triplettes ». Ainsi, 70 % des élèves se concentrent sur 10 triplettes, et 80 % sur 15 triplettes, ces 15 triplettes comprenant 9 spécialités.
Nous en venons maintenant plus précisément à l’objet de notre mission, qui portait sur la répartition de l’offre de spécialités sur le territoire. Nous rappelons au préalable que cette répartition a été, en grande partie, laissée au choix des académies et des établissements, et qu’aucun seuil n’a été défini au niveau national pour permettre ou non l’offre d’une spécialité dans les établissements.
Tout d’abord, l’objectif annoncé par le ministère que chaque établissement propose au moins 7 spécialités apparaît globalement atteint. Seuls 13 % des lycées concernés ne remplissent pas cet objectif. 20 % des lycées proposent 7 spécialités, 31 % en proposent 8, 27 % en proposent 9, 8 % en proposent 10 et 1 % en proposent 11.
Deuxième constat, toutes les spécialités sont effectivement proposées dans l’ensemble des départements, à l’exception de la spécialité « Langues, littératures et cultures de l’Antiquité », qui est absente dans 18 départements.
Parmi les nouvelles spécialités proposées, il faut relever la performance de la spécialité « Numérique et sciences informatiques », qui est proposée par 51 % des établissements, et est suivie par 8 % des élèves. Ces chiffres témoignent de la réelle disponibilité des établissements à innover afin de favoriser la liberté de choix des élèves, et d’une très bonne couverture territoriale malgré un nombre limité d’élèves.
En outre, on relève de forts écarts entre les académies concernant le choix des combinaisons. C’est ainsi que la triplette « Mathématiques, Physique-Chimie et Sciences de la Vie et de la Terre » regroupe 34 % des élèves dans l’académie de Nancy-Metz, 25 % dans celles de Paris et de Versailles et seulement 20 % en Guyane et à Mayotte. La triplette « Histoire-géographie-science politique, Mathématiques et Sciences économiques et sociales » concentre quant à elle 13 % des élèves à Paris contre 7 % dans les académies de Lille et de Montpellier, et seulement 2 % à Mayotte.
Au niveau national, certaines combinaisons ont pu n’être choisies que de manière exceptionnelle. C’est ainsi que 17 combinaisons n’ont été choisies que par 3 élèves, 28 par 2 élèves et 71 par un seul élève. Il s’agit de combinaisons originales, comprenant pour la plupart au moins une spécialité artistique. À titre d’exemple, on peut citer la triplette « Humanités, LLCA Latin et Numérique et sciences informatiques », choisie par 3 élèves, ou la triplette « Histoire des Arts, Langues étrangères et Sciences de l’ingénieur », choisie par un seul élève.
Nous avons interrogé la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale, afin de distinguer, parmi les établissements, ceux accueillant une forte proportion d’élèves issus d’établissements classés en éducation prioritaire, ceux situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville et ceux situés en zone rurale. Malheureusement, les délais impartis à notre mission n’ont pas permis d’obtenir des données sur ces sujets, qui demandent un traitement statistique plus lourd.
Par ailleurs, nous avons également souhaité porter une attention particulière à la situation des collectivités d’outre-mer. Il ressort des données que l’ensemble des spécialités sont proposées dans toutes les collectivités de l’article 73 de la Constitution, ce dont nous nous réjouissons. On relève cependant certaines difficultés matérielles en lien avec la spécialité « Numérique et sciences informatiques » : les établissements manqueraient des moyens nécessaires à l’enseignement de cette spécialité. De plus, en Guyane, les spécialités seraient très concentrées à Cayenne, et plus généralement sur la côte. Cette situation reflète le manque d’attractivité des communes de l’intérieur de ce département pour les personnels.
Au niveau national, lorsqu’un élève souhaite suivre une spécialité qui n’est pas offerte dans son établissement, plusieurs options lui sont offertes :
– Si son établissement a conclu une convention avec un autre lycée concernant cette spécialité, il peut suivre cette spécialité dans cet autre établissement ;
– Il peut également, si certaines conditions sont remplies, suivre cet enseignement via le Centre national d’enseignement à distance (CNED) ;
– Enfin, il peut, en dernier recours, changer d’établissement.
La conclusion de conventions entre établissements était la voie qui paraissait privilégiée par le ministère, qui avait annoncé que toutes les spécialités seraient proposées dans le cadre de « bassins de vie » de dimension raisonnable. Pourtant, cette solution n’a pas prospéré pour l’instant dans l’enseignement public, y compris en zone urbaine, où les temps de transport sont parfois minimes. Le mécanisme de conventionnement a eu cependant plus de succès dans l’enseignement privé sous contrat. D’après une enquête menée par le Secrétariat général de l’enseignement catholique, à laquelle 51 % des établissements qui y sont affiliés ont répondu, un tiers de ces derniers ont conclu de telles conventions. Il s’agit souvent de conventions permettant un échange des élèves, chaque lycée proposant au moins une spécialité qui n’est pas proposée par l’autre. Ces conventions ont été pour la plupart conclues entre établissements d’enseignement privé.
À cet égard, certains établissements ont retenu des solutions innovantes afin de réduire les temps de transport des élèves, en regroupant sur une journée les enseignements de deux semaines. D’autres ont organisé un enseignement par visioconférence, ce qui constitue une option très convaincante lorsque le temps de transport est trop élevé ou la ressource humaine insuffisante. Nous voulons ainsi saluer le dispositif d’enseignement à distance mis en place par les établissements d’enseignement catholique dans l’académie de Lorraine, qui a d’ailleurs essaimé dans d’autres académies. Il complète l’enseignement à distance par un accompagnement de proximité au sein de l’établissement d’inscription par un enseignant. Nous pensons que l’extension de ce dispositif au sein de l’enseignement public mériterait d’être étudiée.
S’agissant du transport des élèves, nous avons souhaité entendre des représentants de Régions de France, sans succès, malgré nos demandes. Il nous a été rapporté que les pratiques variaient selon les régions, et que certaines n’avaient pas mis en place de moyens de transport malgré la conclusion d’une convention entre établissements ; c’est le cas notamment en Martinique.
Ensuite, la possibilité de suivre une spécialité via le CNED a été fortement encadrée. Afin de ne pas perturber la mise en place de réseaux d’établissements, le ministère a décidé de n’ouvrir que 8 spécialités par la voie du CNED, à savoir « Arts plastiques », « Musique », « LLCA Latin », « LLCA Grec », « LLCE Allemand », « LLCE Espagnol », « LLCE Italien » et « Numérique et sciences informatiques ». De plus, cette possibilité n’a été ouverte qu’aux élèves de certains établissements choisis par les académies, et devait faire l’objet de conventions entre le CNED et les académies à l’initiative de ces dernières. Seules 19 académies, toutes situées en métropole, ont choisi de conclure de telles conventions. Au total, seuls 241 élèves suivent par l’intermédiaire du CNED une spécialité non proposée par leur établissement d’inscription.
Concernant le changement d’établissement, les chiffres fournis par le ministère ne révèlent aucune évolution par rapport à l’an dernier. La part d’élèves ayant changé d’établissement entre la Seconde et la Première en 2018 est demeurée très proche des chiffres constatés les années précédentes – aux alentours de 5,5 %. On évalue la proportion d’élèves ayant changé d’établissement entre la Seconde et la Première afin de suivre une spécialité qui n’était pas proposée par leur établissement d’origine à 2,6 %, ce qui est marginal. En réalité, la réforme paraît n’avoir rien modifié sur ce point, les élèves ne cherchant pas plus qu’avant à changer d’établissement. Il est vrai également qu’une circulaire avait précisé que les élèves déjà inscrits dans l’établissement seraient prioritaires pour le choix des spécialités qui y sont proposées. Certains élèves ont sans doute renoncé à demander un autre établissement de peur de ne pouvoir revenir dans leur établissement d’origine en cas de refus.
L’enseignement technologique a quant à lui été moins touché par la réforme, mais on relève des risques pesant sur l’avenir de la série « Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable » (STI2D). En effet, du fait de la disparition de la série scientifique, un certain nombre d’élèves qui s’en voyaient auparavant refuser l’accès sont désormais admis en voie générale en choisissant la spécialité « Sciences de l’ingénieur ». Il en a résulté une chute de 13 % des effectifs de la série STI2D à la dernière rentrée.
Enfin, la réforme a également concerné l’enseignement agricole, mais d’une façon bien particulière. Les élèves de lycée agricole voient leur choix restreint, en Première, à 3 spécialités, à savoir « Mathématiques », « Physique-Chimie », et une spécialité « Biologie-écologie », qui leur est réservée et n’est pas enseignée dans les établissements relevant de l’éducation nationale.
Nous en venons maintenant à nos préconisations :
– Il nous a été signalé que la carte des spécialités demeure peu accessible pour les élèves et leurs parents. Il s’agit pourtant d’une donnée fondamentale pour permettre l’exercice de la liberté de choix promue par la réforme. Nous recommandons donc de diffuser en ligne une carte de France exhaustive détaillant, par établissement, les spécialités proposées, et permettant également, pour chaque spécialité, de consulter les établissements la proposant ;
– Concernant le suivi de l’offre de spécialités des établissements, il nous apparaît indispensable que le ministère se penche sur la répartition des spécialités en fonction de critères géographiques et sociaux. Nous recommandons donc qu’une analyse soit conduite sur l’offre de spécialités par les établissements situés en zone rurale et sur ceux comportant une part importante d’élèves issus de l’éducation prioritaire. Ces données seront essentielles pour vérifier que la réforme a contribué à un approfondissement de l’égalité des chances entre les lycéens ;
– Nous croyons également nécessaire de garantir que chaque spécialité soit proposée par au moins un établissement dans tous les départements. Ce n’est pas le cas aujourd’hui pour la spécialité « Langues, littératures et cultures de l’Antiquité », qui n’est pas proposée en Mayenne par exemple, alors même qu’un lycée du Mans, dans le département voisin, la propose et comporte une classe préparatoire littéraire ;
– Ensuite, la mise en réseau des établissements, nécessaire pour proposer des enseignements de spécialité mutualisés, est manifestement compliquée, et le bilan des conventions conclues apparaît décevant. Afin de faciliter ces mutualisations, nous proposons qu’il soit fourni aux établissements un modèle de convention et que ceux-ci soient davantage incités à y recourir ;
– En outre, nous nous étonnons que l’ensemble des académies n’aient pas conclu de convention avec le CNED pour organiser le suivi de spécialités par son intermédiaire. En particulier, cette possibilité n’a été ouverte cette année à aucun élève ultramarin, faute pour les académies concernées d’avoir passé une convention avec le CNED. Nous pensons nécessaire de rappeler aux académies qui ne l’ont pas fait que cette possibilité leur est offerte, afin que les élèves disposent de l’éventail le plus large possible de spécialités. Il pourrait également être utile de revoir, en vue de la prochaine année scolaire, la liste des spécialités proposées via le CNED, afin de s’assurer qu’elle ne limite pas à l’excès les choix des élèves au vu des possibilités réelles qui leur sont offertes de suivre une spécialité dans un établissement proche de leur domicile ;
– Enfin, il paraît indispensable de rappeler aux régions leur rôle dans l’organisation des transports scolaires des élèves qui doivent se déplacer pour suivre une spécialité dans un autre établissement.
Par ailleurs, nous voulons formuler quelques recommandations qui ne concernent pas, à strictement parler, la carte des spécialités :
– De réelles inquiétudes se sont fait jour depuis la rentrée sur le niveau d’exigence et les programmes de certaines spécialités. C’est le cas notamment de la spécialité « Langues, littérature et cultures étrangères et régionales », dont le contenu est très axé sur la littérature et la civilisation. Au vu des performances des élèves français en langues étrangères, il serait souhaitable de renforcer l’acquisition des compétences communicationnelles au sein de cette spécialité.
C’est le cas aussi de la spécialité « Mathématiques », qui est la spécialité la plus choisie, mais dont le niveau d’exigence apparaît trop élevé pour bon nombre d’élèves. Face à ce constat, les pilotes du comité de suivi de la réforme du lycée préconisent d’ouvrir l’option « Mathématiques complémentaires » en Terminale dans tous les établissements. Nous ne sommes pas certains que cela constitue la solution la plus souhaitable car elle pèserait fortement sur la dotation horaire globale des établissements. En revanche, nous pensons que le fait que les Mathématiques soient totalement absentes du tronc commun a conduit beaucoup d’élèves à faire le choix de cette spécialité sans réelle appétence pour cette discipline. Nous proposons donc d’inclure des enseignements d’outils mathématiques dans le tronc commun, au sein de l’Enseignement scientifique. Un minimum de formation en mathématiques serait ainsi dispensé à tous les élèves, ce qui permettrait à certains de ne pas être obligés de choisir la spécialité « Mathématiques », dont le niveau apparaît trop élevé pour beaucoup ;
– En outre, il nous a été indiqué que certains établissements restreignent fortement la possibilité de changer de spécialité après la rentrée, par crainte d’un afflux de demandes, alors que le ministère avait indiqué que cette possibilité devait rester ouverte au cas par cas, sur décision des équipes pédagogiques. Cette recommandation nous paraît adaptée, mais nous croyons nécessaire qu’elle soit rappelée plus clairement aux établissements ;
– Nous souhaitons aussi plaider en faveur de la possibilité de maintenir, en Terminale, 3 spécialités, à raison de 4 heures par semaine chacune. Beaucoup d’élèves font part de leur inquiétude à l’idée de devoir abandonner une de leurs spécialités l’an prochain car ils craignent que cela limite leurs choix dans l’enseignement supérieur. De plus, il faut tenir compte du fait que le choix des établissements d’offrir une palette large de spécialités a eu tendance à réduire l’offre d’enseignements optionnels. La possibilité, pour certains élèves, de conserver 3 spécialités en Terminale permettrait de préserver une véritable variété des enseignements reçus, ce qui est conforme à l’esprit de la réforme,pour autant, bien entendu, que les moyens en ressources humaines le permettent. On éviterait aussi une forme de concurrence entre spécialités en première, laquelle risque de fragiliser celles qui sont les moins représentées. De plus, les élèves resteraient ainsi mobilisés deux années complètes sur l’ensemble de leurs spécialités, alors que les professeurs relèvent une forme de renoncement, tôt dans l’année scolaire, de ceux qui savent qu’ils abandonneront la spécialité en fin de Première. Enfin, l’organisation pour les établissements s’en trouverait allégée, les inquiétudes des enseignants des spécialités les moins couramment choisies, levées.
– Enfin, nous regrettons que le lycée agricole ait été tenu, pour ainsi dire, en lisière de cette réforme. Nous souhaiterions qu’un rapprochement puisse être opéré avec le lycée d’enseignement général et technologique, afin d’ouvrir davantage le choix de tous les élèves.
En conclusion, nous souhaitons attirer l’attention sur des inquiétudes concernant les suites de cette réforme :
– Tout d’abord, des préoccupations s’expriment concernant le maintien, en classe de Terminale, de certaines spécialités proposées en Première. C’est le cas notamment des spécialités « Numérique et sciences informatiques » et « Sciences de l’ingénieur », qui ont été fréquemment choisies conjointement avec les Mathématiques, la Physique-Chimie ou les SVT. En effet, il apparaît probable que les élèves se rabattront, en Terminale, sur leurs spécialités scientifiques plus conventionnelles, et abandonneront les spécialités plus récentes ou plus originales. Il en résulterait des difficultés de gestion des ressources humaines, ces enseignements n’étant dispensés que dans le cadre de la Première et de la Terminale ;
– En outre, nous souhaitons alerter sur la situation des langues régionales, qui étaient souvent choisies sous la forme d’un enseignement optionnel. Or le choix fait par les établissements d’ouvrir largement les choix de spécialités en a conduit certains à réduire les options proposées. Il en va de même pour les langues anciennes, ainsi que pour les langues étrangères dites « rares » ;
– Ensuite, les élèves et des membres de la communauté éducative s’inquiètent des modalités d’organisation du grand oral, dont les contours demeurent flous. Il apparaît urgent d’apporter des précisions sur cette épreuve afin de permettre une bonne préparation des enseignants et de leurs élèves ; au sein des établissements, l’attente de la publication des programmes des spécialités en Terminale est également prégnante.
– De plus, parce qu’elle ouvre les choix des élèves, la réforme devrait s’accompagner d’un renforcement de l’aide à l’orientation, dans un contexte où le rôle des professeurs principaux est bouleversé par l’éclatement du groupe classe. Nous pensons que les 54 heures par an dévolues à l’orientation devraient être mieux déployées et utilisées qu’elles ne le sont actuellement, et qu’un véritable effort de formation des enseignants doit être engagé sur ce sujet. La fonction de professeur principal pourrait d’ailleurs évoluer vers une forme de tutorat, qui serait assuré par chaque professeur pour un nombre réduit d’élèves.
– Nous terminerons sur l’inquiétude majeure qui s’est exprimée au cours des auditions, et qui porte sur l’accueil que cette réforme trouvera dans l’enseignement supérieur. En effet, il est indispensable que l’ouverture des possibles réalisée au lycée trouve un écho dans l’enseignement supérieur, à travers une plus grande disponibilité à accueillir des profils variés. À cet égard, les attendus qui seront exprimés par les formations d’enseignement supérieur constitueront un facteur clef du succès de la réforme du lycée. Il est urgent que les établissements de l’enseignement supérieur dévoilent les attendus qu’ils appliqueront aux candidatures reçues sur Parcoursup, et qu’ils fassent preuve de bienveillance à l’égard des élèves qui auront fait des choix atypiques et qui sont aussi, on l’a vu, plus souvent issus des classes moins favorisées. Les parcours « Oui si » mis en place à l’occasion de la réforme des études en licence devront être pleinement utilisés pour y parvenir.